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Gustave Carré mentionne l'existence de foires à Troyes dès le Ve siècle : le quadrilatère Gallo-Romain d'Augustobona était en effet situé sur la célèbre voie romaine Agrippa, qui reliait Milan à Boulogne ; c'était déjà une étape pour de nombreux voyageurs européens. Il fallut toutefois attendre la gestion éclairée des Comtes de Champagne pour que les foires connaissent leur renommée internationale aux XIIe et XIIIe siècles. |
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Le calendrier des foires fut pensé par les Comtes de telle sorte que tout au long de l'année, des échanges commerciaux aient lieu sur le territoire Champenois ; ce calendrier au milieu du XIIIe siècle débutait par les foires de Lagny sur Marne, en janvier, puis, le dernier mardi avant la mi-carême celles de Bar sur Aube. En mai, c'était les foires de Provins, puis en juillet et août les foires "chaudes" de la Saint Jean à Troyes, puis de nouveau à Provins en septembre pour finir en octobre par les foires "froides" de la Saint Rémi à Troyes. Chaque foire durait de trois à six semaines, et ce calendrier changea à plusieurs reprises au fil des siècles. C'est ce que l'historien Fernand Braudel appelle le "système d'horlogerie à répétition", qui assure au Comté une activité économique exceptionnelle de janvier à décembre. |
Ce fut Thibaud II Le Grand ( 1125-1151) qui détermina une première organisation de foires déjà existantes et multiples sur son territoire, motivé en cela par une volonté d'autonomie économique du vassal sur son seigneur, le roi de France. Pour attirer les marchands, Thibaud leur offre une protection sur les terres de Champagne, et sur les routes qui y mènent (le "conduit") ; on le voit ainsi défendre des changeurs et des marchands rançonnés par les Seigneurs des comtés environnants. Cette protection s'accompagne d'un accueil privilégié dans ses villes ; il supprime les campements de fortune dans les champs hors des murs des cités de foires et encourage la mise à disposition de greniers, d'entrepôts et de logements pour les marchands et la protection de leurs biens (la "garde"). Enfin il bat la monnaie pour favoriser les échanges commerciaux ; c'est la naissance du denier provinois, que l'on retrouve bientôt sur les tables de tous les changeurs européens. Le fils de Thibaud, Henri Ier le Libéral, continue les efforts de son père pour l'expansion des foires ; des halles apparaissent (grange aux Dîmes à Provins), les Hôtels Dieux accueillent les marchands et leurs biens, le calendrier se précise et s'organise. Jusqu'à la fin de la lignée des Comtes de Champagne, chacun d'eux n'aura de cesse de protéger cette activité économique qui donne une toute nouvelle puissance au Comté, que le Roi Philippe le Bel, après son mariage avec Jeanne de Navarre, s'empresse de faire disparaître ; il supprime ainsi le denier provinois en 1284 et déplace les échanges commerciaux de Champagne vers Paris. Les marchands viennent bientôt de toute l'Europe médiévale pour ses rencontres internationales uniques ; de Lombardie, du Piémont, de Toscane de Rome Gênes et Venise pour l'Italie, de Flandre, de Brabant, de Hainaut, de Hollande pour le nord, de Cologne, Bâle, Constance, Augsbourg Ratisbone ou Lübeck pour l'Est. Les marchands français sont eux aussi nombreux ; ils viennent de Bourgogne ou d'île de France, mais aussi de Provence, du Limousin, de Lyon, de Clermont et du Languedoc. Les marchands se regroupent le plus souvent selon leur origine géographique, et l'on trouve des noms de rues qui en témoignent ; la rue de Hollande à Provins, la rue de Montpellier (actuelle rue François Gentil) et la rue des Allemands, Hôtel des Maurs (rue Saint Pantaléon) à Troyes, rue du Poids aux Lombards à Lagny... Chacune des quatre cités comtales fut enrichie par la tenue de ces foires ; les édifices religieux, qui proposaient leurs greniers et parfois le logis au marchands, se multiplièrent, les fortifications se développèrent, les maisons bourgeoises et auberges où l'on louait des chambres aux étrangers furent construites. Des quartiers entiers furent organisés et modelés pour accueillir cet événement. |
Ci-dessous ; Eglise Saint Pierre et son halloi |
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Ci-dessus : St Maclou, la maison des Hospitaliers et une rue de Bar sur Aube |
Le premier quartier des foires se situait autour du château des Comtes et de la Collégiale Saint Maclou. La foire avait lieu au mois de mars, les marchands arrivant de Lagny où la foire venait de prendre fin. Les marchandises étaient stockées dans divers entrepôts dont semble-t-il la maison des Hospitaliers Saint Jean de Jérusalem. Un deuxième quartier de foires fut bientôt créé près de l'église Saint Pierre, où un halloy fut construit pour abriter les étals. Les foires vont apporter une nouvelle prospérité à la petite cité Comtale, où des fortifications sont érigées, et où l'on compte au XIIIe siècle près de 3000 habitants. |
« A l'époque de l'ouverture de ces deux grandes foires, on voyait arriver du Nord et du Midi une foule considérable de marchands qui, pour vendre leurs denrées à bon profit, avaient bravé la mer et les corsaires, les montagnes et les brigands, la ruine, la captivité ou la mort. Il en venait de tous les points de France ; il en venait aussi de la Flandre, de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Espagne et de la Suède ; il en venait même de la Grèce, de l'Egypte, de Tunis, d'Acre et de Chypre. En quelques jours, toute une ville d'étaux, d'échoppes et de boutiques se trouvaient improvisées auprès de l'abbaye Notre Dame et bien au delà. (...) Ce n'était que piles de robes, de manteaux, de chausses, de bonnets, de chaperons, de souliers de bottines, que tas d'épices, de fruits exotiques, de comestibles, de confiseries, etc. A perte de vue s'étendaient de longues tables chargées de toutes sortes de draperie, de toiles, de soieries, de cuirs, de toutes sortes d'ouvrages de fer, de cuivre, d'étain, de bois, d'ivoire ou de verre, d'escarcelles brodées, de ceintures argentées, dorées, de chandeliers, de lampes, de hanaps, de miroirs, de chapelets, de bénitiers, etc. Ajoutons pour compléter le tableau, les nombreuses échoppes des changeurs, groupées aux environs de l'église St Jean, toutes scintillantes d'espèces d'or et d'argent et de monnaies de tous les pays. » (extrait d'Histoire de Troyes, par Gustave Carré aux éditions du Bastion) |
Ci-dessous ; la place du Châtel, l'église St Ayoul et la tour César |
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Ci-dessus ; l'Hotel Dieu (ancien palais des Comtesses) et la grange aux Dîmes |
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A Provins, deux quartiers étaient principalement
concernés par les foires ; la place du Châtel et la place St Ayoul, ancienne place aux
Changes. Les entrepôts étaient multiples à Provins, grâce à un réseau de souterrains
très étendu pour stocker certaines marchandises. La célèbre Grange aux Dîmes fut
établie par le Comte Henri Ier ; sa salle basse servait d'entrepôt, son rez de chaussée
de marché couvert, et l'étage d'hébergement pour les marchands. On comptait deux
périodes de foires à Provins ; la foire de mai (dans la ville haute), et la foire St
Ayoul (dans la ville basse), à l'automne. Là encore, les foires apportèrent richesse et
prospérité à la ville ; les monuments religieux se multiplièrent (St Quiriace, Couvent
des Cordelières, transformation du Palais des Comtesses douairières en Hôtel Dieu,
agrandissement de St Ayoul...) et les remparts témoignent encore aujourd'hui de la
puissance de la petite cité, qui au début du XIVe siècle comptait 10000 habitants.
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Ci-dessous ; Porche de la Première Abbaye St Pierre et son Eglise Notre Dame des Ardents | |
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Ci-dessus ; Halle des Marchands d'Ypres et Fontaine St Fursy | |
Lagny sur Marne était situé tout près de la frontière entre le Comté de Champagne et le domaine Royal ; c'était un lieu stratégique, qui fermait la ligne des 4 villes de foires. La foire débutait aux premiers jours de janvier et se situait près de l'abbaye Saint Pierre. Un marché aux Changes s'établit également rue du Poids aux Lombards. Une contruction subsiste encore, témoignage des foires de Champagne ; c'est l'ancienne halle des marchands d'Ypres, les Cinq Pignons, qui abrite aujourd'hui l'Office de Tourisme. |
Outre l'Histoire des Comtes d'Henri Ehret, l'Histoire Populaire de Troyes de Gustave Carré, et l'Histoire de Troyes de Françoise Bibolet (voir page Ressources), lire également "La vie en Champagne N° 47", numéro hors série publié en 1957 et consacré aux foires de Champagnes, avec un article de Robert Henri Bautier et un autre de Françoise Bibolet. Les images des sceaux des Foires de Champagne sont tirées du site du Centre Historique des Archives Nationales, et sont accompagnées des mentions légales ; se reporter aux services de reproduction du centre pour obrenir des tirages de ces documents. |